Les aides fléchées : un instrument indispensable à l’aune d’un changement des comportements de consommation en France

31 / 05 / 2024

En juin 2020 la Convention Citoyenne pour le Climat recommande via la proposition SN6.1.5 « de mettre en place des chèques alimentaires pour les plus démunis à utiliser dans les AMAP ou pour des produits bios ». Cette proposition traduit de la part des 150 citoyens et citoyennes une volonté de mettre en place une prestation sociale servie aux ménages qui ne puisse être dépensée que dans un réseau d’acceptation précis, à savoir les commerces dépendant de l’industrie paysanne ou sur un type de produit précis issu de l’agriculture biologique.

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En juin 2020 la Convention Citoyenne pour le Climat recommande via la proposition SN6.1.5 « de mettre en place des chèques alimentaires pour les plus démunis à utiliser dans les AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture Paysanne) ou pour des produits bios ». Cette proposition traduit de la part des 150 citoyens et citoyennes une volonté de mettre en place une prestation sociale servie aux ménages (Les prestations sociales autres que transferts sociaux en nature (D62) sont des transferts courants en espèces que reçoivent les ménages et qui sont destinés à pourvoir aux besoins qui surgissent à l’occasion de certains événements ou situations, comme la maladie, le chômage, la retraite, le logement, l’éducation ou les situations familiales.) qui ne puisse être dépensée que dans un réseau d’acceptation précis, à savoir les commerces dépendant de l’industrie paysanne ou sur un type de produit précis issu de l’agriculture biologique.

Si le projet de chèque alimentaire a été abandonné, l’idée d’un fléchage permettant à l’Etat de soutenir la consommation de certains biens et services précisément est restée. A l’aune de la transition écologique de notre pays qui doit venir modifier chaque composante de sa consommation, les dépenses de protection sociale constituent une courroie de transmission considérable permettant à l’Etat d’aligner la consommation de sa population sur les grands thèmes de demain dont la décarbonation des biens et services consommés. Si cette stratégie est retenue les technologies de fléchage d’aides seront alors essentielles.

I : La France a un profil de pays généreux en matière de dépenses de protection sociale avec un contrôle relativement faible sur la cible d’utilisation des prestations sociales servies aux ménages.

La France est en première position des dépenses de protection sociale de l’OCDE. Le pays y consacre 849.9 milliards d’euros en 2022 soit 31.63 % (Les données économiques utilisées dans cette article proviennent des bases de données de l’OCDE en libre accès) de son Produit Intérieur Brut (PIB). Le gros de ces dépenses de protection sociale est occupé par les prestations sociales servies aux ménages. Ces dernières peuvent être ventilées en deux catégories distinctes : les prestations sociales autres que les transferts sociaux en nature qui correspondent à des espèces pouvant être utilisées de manière indifférenciée par les ménages, et les transferts sociaux en nature qui a contrario ne peuvent être utilisés que sur la fourniture d’un bien ou d’un service précis.   

Sur les dépenses de prestations sociales autres que les transferts sociaux, que nous appellerons aides non fléchées et qui peuvent être utilisées sur n’importe quel poste de dépense par le ménage, la France occupe la deuxième place des pays de l’OCDE en y consacrant 19.42% de son PIB en 2022 quand la Suède est à 11.32%.

En revanche sur les transferts sociaux en nature, et qui sont en partie composés par ce que nous appelons les aides fléchées*, elles ne peuvent être utilisées par les ménages que sur des postes de dépenses présélectionnées par le pouvoir public, la France n’occupe que la cinquième place avec 15.76% de son PIB en 2022 quand la Suède par exemple est à 17.77% et occupe le premier rang des pays de l’OCDE.

* Soit il s’agit d’un remboursement direct (exemple MaPrimRenov) soit d’un titre de paiement ou équivalent ne pouvant être utilisé que dans un réseau d’acceptation privé (aide fléchée)

Schéma 1 : répartition des pays selon les types de dépenses de protection sociales (Les rectangles correspondent aux aides fléchées et les cercles aux aides non fléchées)

Schéma 1 : répartition des pays selon les types de dépenses de protection sociales (Les rectangles correspondent aux aides fléchées et les cercles aux aides non fléchées)

On voit sur ce schéma se dessiner un hiatus profond entre deux typologies de pays. D’un côté, les sociales-démocraties du nord qui font le choix de contrôler majoritairement la cible d’utilisation des prestations sociales versées aux ménages en partie via des mécanismes d’aides fléchées*. De l’autre côté la France, la Grèce ou l’Italie qui au contraire distribuent plus de prestations sociales à la cible d’utilisation non contrôlée (aides non fléchées).

A l’issue de cette première partie nous pouvons dresser un premier constat ;  la France est un pays qui n’encadre pas les cibles d’utilisation pour une majorité des dépenses de protection sociale et relever une première question : est-il souhaitable de contrôler la cible d’utilisation des prestations sociales aux ménages ?

* Ou de remboursement direct suite à une dépense

Vous voulez en savoir plus sur cet outil essentiel notre podcast ici :

II : Confrontée au double enjeu de contrôle des dépenses publiques et de planification économique dans un contexte de transition écologique, la France pourrait utiliser les prestations sociales servies aux ménages pour accompagner une évolution vers des modes de consommation plus vertueux.

La décarbonation de l’économie va nécessairement entraîner un supplément d’investissement d’ampleur d’environ 2 points de PIB à partir de 2030*. Ces investissements de recalibration de l’économie, sans potentiel de croissance induiront un coût économique et social qui devra être porté par les ménages avec le soutien de l’Etat. En effet, la planification écologique dans laquelle nous sommes rentrés depuis 2022* va nécessairement chercher à orienter le comportement des consommateurs vers des actions moins carbonées que ce soit autour de l’alimentation, du transport, de la consommation d’énergie ou de l’habitation.  « La neutralité climatique est atteignable… et elle sera pilotée d’abord par les politiques publiques et non par les innovations technologiques et les marchés* ». Or ces nouveaux comportements entraîneront des surcoûts importants pour les ménages.

Dès lors, comment motiver ces changements de comportements de consommation chez les ménages alors même que les coûts seront plus élevés? Le rapport Pisani-Ferry prévoit à cet effet que « le changement viendra sans doute d’une combinaison entre signal prix et évolution des normes collectives* ». Dans un double mouvement de proactivité, les pouvoirs publics devront à la fois mettre en place des dispositifs de soutien à la consommation de services et de biens précis tout en promouvant et en éduquant la population sur les nouveaux comportements bas carbonés à adopter. Le rapport annuel 2024 de la Cour des Comptes insiste sur ce dernier point « Il ressort de cet ensemble d’éléments que le déploiement efficace de mesures d’adaptation au changement climatique doit être précédé d’importants efforts pour convaincre de sa nécessité et de ses bienfaits, identifier les principaux enjeux et réduire les incertitudes. » (Cour des Comptes Rapport public annuel 2024, l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique P15).

En somme, l’Etat va devoir réussir à augmenter ses dépenses de prestations sociales auprès des ménages pour décarboner leur consommation, alors même que le pays y consacre déjà 31.63% de son PIB en 2022, que le déficit est de 5.5% du PIB en 2023, que la charge de la dette est estimée à 52.2 milliards en 2024 et que le taux de recettes fiscales s’élève à 46.08% du PIB en 2022 (Premier pays de l’OCDE en termes de prélèvements obligatoires).

 On le constate, les capacités financières de l’Etat ne sont pas infinies et le budget alloué aux dépenses de prestations sociales auprès des ménages ne pourra pas continuer à augmenter (Si on considère que ce niveau de dépense est déjà le plus haut des pays de l’OCDE, que le niveau d’impositions obligatoires est également le plus haut parmi les pays de l’OCDE et que la volonté du gouvernement actuel est de réduire le déficit.) indéfiniment . Face à l’urgence de transitionner vers des comportements bas carbone ( cf.supra) l’Etat n’aura plus d’autres choix que d’orienter les dépenses de prestations sociales auprès des ménages vers des postes précis soutenant certains modes de transport (exemple : le train plutôt que l’avion), certains aliments (exemple : les légumes plutôt que la viande bovine), certaines pratiques de chauffages (exemple : le chauffage au bois plus que le fioul). Parmi la galaxie extrêmement large de biens et de services accessibles au sein d’une économie de marché globalisé, devront apparaître des instruments permettant de circonvenir des postes de dépenses qui auront été présélectionnés par l’Etat en fonction des stratégies bas carbones définies et autres priorités publiques sociales et sanitaires.

Plus l’urgence climatique se fera ressentir, plus les prestations sociales distribuées aux ménages par l’Etat devront répondre à un impératif de respect des futurs normes bas carbones. Action climatique et bienfait sanitaire allant souvent de pair on remarquera que l’Etat pourra par la même occasion encourager des comportements vertueux, par exemple en supportant la consommation de fruits et légumes, la pratique sportive en club, les réseaux de petits commerçants locaux etc...

Nous avons vu que parce que limité dans son budget et devant répondre aux impératifs écologiques précités, l’Etat devrait naturellement convertir ses prestations sociales autres que les transferts sociaux (les aides non fléchées) vers des transferts sociaux en nature qui a contrario ne peuvent être utilisés que sur la fourniture d’un bien ou d’un service précis (les aides fléchées).

On le devine, pour pouvoir aller plus loin dans la distribution d’aides fléchées, l’Etat devra s’outiller technologiquement afin de s’assurer que les aides distribuées ne soient dépensées que dans le poste de dépense prévu par l’Etat. Cela sans rajouter une lourdeur administrative pour le système socio-fiscal et sans que les coûts de contrôle soient exorbitants. Certains dispositifs technologiques on le verra dans le (III) permettent de répondre à ces enjeux.

* Les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz Mai 2023

III : Dans un contexte de transition écologique, les dispositifs technologiques de fléchage d’aides sont opportuns afin de permettre à l’Etat de circonvenir stratégiquement les postes de dépenses possibles associés aux versements des prestations sociales.

Ce que nous appelons « aide fléchée » est avant tout un dispositif technologique qui permet de créer un réseau d’acceptation de paiement privatif au niveau du commerçant (niveau 1) ou au niveau du panier (niveau 2) choisi comme cible de consommation adéquate par les pouvoirs publics. Par exemple l’ANCV et son chèque-vacances papier ou dématérialisé ne peut être dépensé que dans un réseau d’acceptation de professionnels du tourisme et du loisir précis contrôlé par l’ANCV. L’ASP de la même manière met à disposition un chèque énergie ne pouvant être utilisé que dans un réseau d’acceptation de fournisseur d’énergie et sur certains types de produit.

Techniquement cela est réalisé par la mise en place d’un réseau que l’on désigne comme « 3 coins », ou réseau privatif. Ce dernier met en relation trois acteurs : le porteur ou usager, le commerçant et un établissement financier unique. L'usager et le commerçant ont donc chacun un contrat avec l’établissement qui a la main sur le système d’émission et d’acquisition des transactions. Ce schéma permet de s’affranchir du schème (Visa, Mastercard, CB) qui permet l’émission et le traitement des transactions et qui est utilisé dans le cadre d’un réseau « 4 coins ». L’architecture de ce système en boucle fermée est assez simple à mettre en place. Les clients et les commerçants doivent adhérer et contractualiser avec ce système de paiement avant de pouvoir effectuer des transactions entre elles. Ce modèle en boucle fermée est donc centralisé, puisqu’une seule entité l’exploite ce qui permet de faciliter la mise en place de nouveaux services rapidement sans avoir à s’appuyer sur d’autres intermédiaires.

Schéma 2 : réseau 3 coins ou boucle fermée

Schéma 2 : réseau 3 coins ou boucle fermée

Ce caractère « centralisé » de ce réseau 3 coins se prête donc particulièrement bien à L’Etat qui peut jouer le rôle d’établissement financier unique. L’Etat pourrait ainsi veiller en fonction de ses différentes politiques de prestations sociales à intégrer les citoyens et les commerçants pouvant faire partie des réseaux d’acceptations où pourra être dépensée la prestation sociale en question. Un réseau d’acceptation pour le transport, un réseau d’acceptation pour l’alimentation etc…

Schéma 3 : vue macro d’une prestation sociale servie aux ménages sous forme d’aide fléchée

Schéma 3 : vue macro d’une prestation sociale servie aux ménages sous forme d’aide fléchée
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En synthèse, le pouvoir public et les citoyens semblent de plus en plus prêts à accepter un interventionnisme fort de l’Etat sur les pratiques de consommation. Cet interventionnisme peut s’exprimer via différentes modalités. D’un côté des modalités punitives, exemple la proposition de loi sur la Fast Fashion qui pourrait faire émerger des pénalités financières sur certains produits du textile ne respectant pas l’environnement. De l’autre côté une augmentation des prestations sociales servies aux ménages pour acheter des biens et services plus vertueux mais potentiellement avec un prix plus élevé. Etant donné les conditions financières de l’Etat, nous anticipons une bascule dans la typologie des prestations sociales qui passeraient d’une majorité de prestations sociales autres que les transferts sociaux en nature à une majorité de prestations sociales en nature et qui donc nécessite différents mécanismes de contrôle pour s’assurer que l’argent servi par l’Etat est bien utilisé sur les bons postes de dépenses.

L’Etat aura alors deux stratégies pour distribuer les transferts sociaux en nature. Soit une stratégie de création d’aides fléchées comme ce qu’il a fait avec l’ANCV avec les chèques vacances ou l’ASP pour les chèques énergies, soit une stratégie de remboursement et de contrôle à posteriori sans mise en place d’un réseau d’acceptation privée (c’est par exemple le cas de MaPrimRenov’). Nous pensons que pour une multitude de raisons évoquées plus haut, la stratégie du fléchage doit être choisie car elle permet d’empêcher par nature un nombre important de fraudes qu’on constate sur MaPrimRenov’ et qui oblige à procéder à 10% de contrôle des dossiers en 2024. La mise en place d’un réseau d’acceptation privé avec un mode de paiement associé permet également d’augmenter drastiquement le nombre de données accessibles et de piloter au plus proche la politique publique en question. Enfin une stratégie du remboursement n’est pas possible (sans coût très important) dès lors qu’on adresse des millions d’utilisateurs sur des cas d’usages fréquents comme les actes d’achat d’alimentation ou d’énergie. Cette stratégie est préférable sur des achats occasionnels pour les ménages qu’on souhaite subventionner comme l’achat de voiture électrique par exemple.

Pour toute question sur ce sujet :  dl-directionmarketing-mts-france@worldline.com

Vous voulez en savoir plus sur cet outil essentiel notre podcast ici :

Olivier Leplatre

Directeur Marketing, Worldline MTS France